Au moment où ces lignes sont écrites, la marque Jumia dont le nom au Cameroun est Ecart Service a annoncé la fermeture de ses portes après des années de livraisons et de service à la cliente du pays. Les analyses y sont allées de bon cœur, mais je veux revenir sur un événement s’étant produit quelques mois avant cette fermeture et qui pourrait apporter un peu plus de perspectives. Ça se passe à des kilomètres de Douala, aux états-unis.
Pour moi tout commence en mai 2019. J’apprends que Jumia, le chevalier ailé de l’e-commerce africain, a lancé une IPO [En français, une offre publique d’achat] à la bourse de New York, la plus dynamique du monde. Cela signifie qu’ils ouvrent leur capital pour que des investisseurs puissent y déployer leurs ressources et toucher les dividendes. Cette entrée en bourse, remarquée, a fait de jumia la première entreprise africaine ayant accompli cet exploit. Tous les détails de l’action sont disponibles dans cet article de Jeune Afrique publié en avril de la même année.
Quelques semaines plus tard, c’est l’entreprise Citron Research, menée par Andrew Left, qui publie un rapport que je vais qualifier d’absolument désastreux. En voici un court extrait qui donne le ton des propos:
“Que faites-vous lorsque vous êtes au bord de la faillite, que vos actionnaires les plus importants ne vous financeront plus et que votre concurrent le plus proche vient d’être vendu à un prix de vente au rabais ? Vous truquez les chiffres et espérez pouvoir vous débarrasser des actions sur les investisseurs américains.”
Andrew Left, Citron Research, traduction par Ad Wondje
Ce rapport est à charge, je ne peux dire autrement. Plus tard le PDG de Jumia se défend avec ferveur, parlant de transparence, montrant ses chiffres avec fierté. Citron Research renvoie la balle avec encore plus de “preuves”, titrant son rapport “Indisputable evidence of fraud”. Le second rapport est accompagné d’une vidéo disponible ici. On y voit des témoignages de noms influents de la scène africaine, notamment l’investisseure camerounaise Rebecca Enonchong et d’autres.
Bref. Sur la base de ces seules informations, Jumia peut être légitimement considéré comme une fraude. Mais ça, c’était en mai 2019. Que s’est-il passé depuis le temps? Cet article de BBC Afrique, daté d’aout 2019, titre: “Jumia, victime de fraude au Nigéria”.
C’est cet article qui fait vraiment réflechir sur ma position. Lorsqu’on pousse un peu plus loin on trouve ce billet de Digital Business Africa qui va dans le même sens: “Jumia admet finalement des fraudes sur ses performances au Nigeria et donne raison à ceux qui l’accusent de pratiques douteuses”. Nous en sommes donc là. L’entreprise Jumia est considérée comme une boite de fraudeurs malhonnêtes, ayant désiré entrer en bourse pour cacher ses bêtises. Ces supposés fraudeurs malhonnêtes, face à la masse écrasante de documents à charge contre eux reconnaissent les fraudes, font virer leur top management dans les pays concernés, changent leurs méthodes d’évaluation des chiffres. Quelques mois plus tard, ils réduisent leurs opérations de 14 à 11, fermant celles de la Tanzanie, du Rwanda, du Cameroun.
Quitter un pays ça ne se fait pas du jour au lendemain. Pire, quelle entreprise décide de fermer des opérations après une entrée en bourse “réussie”? Les dirigeants étaient-ils ignorants des difficultés inhérentes à la gestion d’un business comme l’e-commerce dans les opérations frileuses comme le Cameroun ou la Tanzanie? Dans le cas spécifique du Cameroun des sources proposent comme réponse l’immaturité du secteur. C’est comme dire que le tour de passe passe n’a pas marché parce qu’il n’y avait pas assez de poudre de perlimpinpin, de mon point de vue. Mais qui c’est peut-être que c’est ça la raison, pour preuve, l’annonce du départ de Jumia n’est pas celle d’une sortie définitive…
Autre possibilité. Les parts de Jumia à l’achat ont plafonné à un effrayant 50$ les premiers jours. En décembre elles valaient 10 fois moins et aujourd’hui sont à 7$ avec espoir que les changements de management, réductions de coûts et autres investissements viendront rendre l’entreprise profitable au plus vite.
Parfois, quand on veut vendre un gâteau, on met beaucoup de levain pour qu’il gonfle, sachant qu’il sera vendu avant que le pot aux rosés soit découvert. Parfois aussi, personne ne croit en une compagnie qui finit par exploser de succès. Jumia est peut-être dans un état Schrodingerien: on ne peut pas savoir si dans la boîte, le chat Jumia est mort, ou bien vivant.